Votre expérience sur le premier Sin and Punishment fut si difficile qu’aujourd’hui encore, vous soupirez en y repensant. Pourriez-vous nous dire ce qui s’est passé exactement ?
Eh bien, les viseurs d’un jeu de tir se déplacent sur un espace 2D mais...
L’univers du jeu est en 3D.
Exactement. Vous devez utiliser un viseur en 2D pour tirer sur un adversaire en 3D. J’ai donc commencé par me demander, “Mince, comment je suis censé faire ça ?!” Et c’est comme ça que tout a commencé.
Je vois.
J’ai expérimenté pendant quelque temps jusqu’à ce que je finisse par trouver le moyen de toucher les ennemis avec mes tirs.
Je vois.
Seulement, ensuite... (rictus de douleur)
Ensuite ?
J’ai réalisé que les balles de l’adversaire ne pouvaient pas toucher le personnage.
(rires)
Ah, les ennemis ne pouvaient pas tirer sur le joueur. (rires)
Dans un jeu en vue subjective, vous pouvez toujours trouver une astuce, mais nous étions en train de développer un titre avec un personnage visible à l’écran. J’étais dans une impasse.
Le moindre décalage à l’écran aurait rendu le jeu moins précis et moins naturel.
Tout à fait. Cette discussion ravive tellement de souvenirs douloureux... Comme les boss, par exemple.
Les boss ?
Les boss sont censés être énormes pour impressionner le joueur. Dans le cas contraire...
Ce ne sont pas des boss.
Voilà. Mais dans un jeu en 3D, les boss se trouvent au fond de l’écran.
C’est logique.
Une fois intégrés dans le jeu, ils étaient minuscules. Nous regardions l’écran en nous disant, “Eh, mais c’est pas un boss, ça ?” Pourtant en vérité, les modèles 3D étaient gigantesques.
Ils étaient gigantesques mais donnaient l’impression d’être tout petits.
(rictus douloureux) Oui...
En effet, c’est un sacré problème. (rires)
Je ne vous le fais pas dire. Dans Sin and Punishment, il est possible de s’approcher pour frapper l’ennemi, donc je pensais que le combat au corps-à-corps allait régler le problème. Malheureusement, lorsqu’on s’approchait, les boss avaient l’air trop gros !
(rires)
(l’air désemparé) Ils ne tenaient pas dans l’écran.
Quand ils s’approchaient de vous, vous n’arriviez plus à savoir si c’était vraiment un ennemi ou autre chose.
Voilà. On voyait juste un gros pied à l’écran. Du coup, on se disait, “Hmm, ça doit être un boss, ça... Ah mais non, c’est juste un pied !”
(rires)
Tant de souvenirs douloureux...
(acquiesce silencieusement)
Lorsque Sin and Punishment est sorti, j’ai trouvé qu’il s’agissait d’un jeu très ambitieux. Je me souviens avoir pensé, “Dis donc, ils voient les choses en grand pour la Nintendo 64 !” Nakagawa-san, faites-vous partie de ces développeurs qui aiment repousser les limites techniques du jeu vidéo ?
Oui. (d’un ton décidé)
C’est bien ce que je pensais.
C’est mon objectif... seulement ce n’est pas facile.
(rires)
Il a toujours été comme ça. Déjà à l’époque de la NES, il cherchait à repousser les limites de la machine. Ça ne lui est jamais passé.
A l’époque de la NES et de la Super Nintendo, nous aimions découvrir des fonctionnalités qui n’étaient pas expliquées dans la documentation. Ce genre de découvertes était le Graal des programmeurs.
Tout à fait.
Parfois, en jouant au jeu d’un autre développeur, il m’arrivait de tomber sur certaines choses très réussies et de ne pas savoir comment ils avaient obtenu ce résultat. C’était assez frustrant. Mais j’étais aussi ravi lorsque les gens étaient impressionnés en jouant à l’un de nos titres.
Je vois ce que vous voulez dire. C’est avec cet esprit que nous nous sommes attelés à la version Nintendo 64.
Donc, Nakagawa-san, vous avez persévéré malgré l’adversité et...
Oui. C’est à ce moment-là que nous nous sommes retrouvés face à un mur apparemment infranchissable. Ce n’était pas seulement un problème de programmation, mais aussi un problème graphique.
Vous aussi vous avez rencontré des problèmes, Suzuki-san ?
Oui. Pour les graphismes, je me souviens avoir eu beaucoup de mal avec le placage de textures.99Placage de textures : technique consistant à plaquer des images sur des objets en 3D pour représenter les textures à sa surface.
La taille des textures était très limitée sur Nintendo 64. Si vous ne trouviez pas une astuce durant la phase de programmation, le processeur ne pouvait plus suivre la cadence.
C’est tout à fait ça. Pour éviter ce problème, nous avons envisagé différentes solutions, comme enlever des os par exemple...10Nous avons cherché un moyen d’utiliser ces contraintes à notre avantage. 10Enlever des os : réduire le nombre de jointures d’un modèle 3D.
Au passage... Sur cette génération, il n’est pas rare de voir des équipes gigantesques travailler sur un jeu, mais Treasure est capable de réaliser des choses étonnantes avec une équipe de taille réduite.
Je suppose, oui.
Je suis souvent surpris de ce que vous arrivez à accomplir avec si peu de personnes. J’ai le sentiment que vos jeux dégagent une certaine puissance.
Eh bien, nous mettons toute notre énergie dans nos créations...
(hochent la tête avec insistance)
(rires)
En règle générale, j’ai tendance à laisser l’équipe réaliser le jeu comme elle l’entend. Mais si vous avez, disons 30 personnes qui cherchent à faire leur propre jeu, vous ne vous en sortirez jamais. Tout le monde essaiera d’imposer ses opinions en disant, “C’est comme ça qu’il faut faire !” C’est pourquoi il est préférable de travailler avec une petite équipe triée sur le volet. Vous n’arriverez à rien si l’équipe est trop grosse.
Plus il y a de gens et moins ça fonctionne. (rires)
Voilà. Vous devez avoir quelqu’un - et c’était d’ailleurs le rôle de Nakagawa sur ce projet - pour s’occuper de la programmation, de la direction et de l’aspect général du jeu. C’est pourquoi l’équipe était réduite à son strict minimum durant les premières phases du projet. Deux programmeurs et deux concepteurs se sont occupés du noyau central du jeu avec quelques employés. Bien sûr, vers la fin du développement, nous nous sommes retrouvés avec la plus grosse équipe dans l’histoire de Treasure.
Une fois ces éléments terminés, je me souviens vous avoir demandé de me montrer le jeu. Déjà à l’époque, je sentais que nous tenions quelque chose...
Comme vous le savez certainement, à l’époque de la NES, il était possible de programmer un jeu tout seul.
C’est vrai. Il fut un temps où tout était l’affaire d’un seul programmeur. Il était courant qu’une équipe complète se compose de trois personnes.
Treasure fonctionne encore comme ça à l’heure actuelle !
(rires)
Il est courant d’avoir des équipes de trois personnes pour développer un jeu dans notre compagnie. Cela permet aux employés de créer ce qu’ils veulent et de réaliser un jeu qui sorte de l’ordinaire. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle notre société travaille en équipe réduite. La vérité, c’est que nous n’avons tout simplement pas assez d’employés...
(hochent la tête)
(rires) Présentons les choses de façon positive : lorsque vous créez un jeu, vous cherchez à exploiter au mieux le potentiel de chaque employé.
Oui. Enfin, on pourrait aussi dire que nous n’en faisons qu’à notre tête. (rires)
© 2024 Nintendo.